lundi 15 août 2016

journal des films (7 au 14 août)

7 août


J.O
pas de films, mais la nuit je regarde les Jeux Olympiques, parenthèse enchantée qu'il faut savoir apprécier de façon boulimique ne serait-ce que parce qu'on a l'excuse que cela n'arrive que tous les quatre ans (si on ne compte pas les JO d'hiver).
Handball, natation, tennis de table (on ne dit pas "ping pong" nous dit le commentateur) : je n'ai pas grand-chose à dire sur le sport et quand je le regarde de façon très exceptionnelle j'apprécie de sentir que la performance qui demande précision, concentration, patience, est contenue à l'intérieur d'une fureur qui est celle de la salle, du stade. Parfois, souvent en bout de match (quand il s'agit d'un match) on peut la sentir, on a l'impression d'en être, et c'est comme une drôle de fièvre à l'intérieur de laquelle les sportifs doivent se rassembler.
Dans les choses très bêtes et très simples que j'aime dans le sport : le fait aussi que cette performance est prise à l'intérieur d'un cadre beaucoup plus global : d'origines sociales, de passion d'enfance, d'entraînements, de mésaventures, de limites physiques, et que tout cela doit concourir à extraire un jus très mince, très subtil, qui est la performance sportive. Telle gymnaste chinoise qui aimerait gagner un maximum d'argent pour aider son père aveugle, tel nageur américain qui prend sa revanche après avoir sombré dans l'alcoolisme.
Le sport ne serait pas autre chose qu'une façon de faire reculer tous les aléas, toutes les circonstances, pour produire de la perfection, une perfection qui élimine ou alors rassemble, réconcilie en un point toutes ces scories. C'est toujours la négation temporaire de l'impur, du monde. C'est très frappant aux JO, où l'on peut sentir la nouveauté des infrastructures et du matériel, on pourrait presque sentir l'odeur de plastique neuf, celui de la piscine, tout un univers propre comme un hôpital, ou même la sueur ne sent rien.
Le plus passionnant est de voir comment deux adversaires peuvent avoir exactement le même niveau mais qu'il faudra pourtant bien les départager, à ce moment le réel s'introduit, les circonstances jouent sur un infime détail en faveur d'un des deux, "c'est le jeu".

8 août

The Chapman Report de George Cukor (1962)

Un film choral sur la sexualité des américaines qui se noue autour du docteur Chapman venu recueillir les témoignages anonymes de plusieurs femmes. Il y a a priori tout ce que j'aime mais le film se perd très vite dans l'illustration très prévisible et mécanique de ses cas pathologiques : la nympho, la frigide, l'infidèle...Il faudrait pouvoir comparer le film à Women (1939). On a toujours le sentiment que Cukor se sent totalement à l'aise pour parler des femmes, à la place des femmes, pour les femmes. Il y a une sorte de complicité et de familiarité tacite entre Cukor et les femmes qui lui permet de se risquer à être cruel, taquin, parfois vulgaire. Ici son aisance se retourne contre lui.

Trahisons à Athènes de Robert Aldrich (1959)

J'entame une mini-rétrospective très distendue de la filmographie d'Aldrich qui commence à devenir mon cinéaste préféré : je compte La Cité des dangers, All the Marbles et Faut-il tuer Sister George ? dans mon top 100 qui n'existe pas. Plus jeune je ne l'aimais pas par ignorance, j'avais vu trois films, je trouvais ça grimaçant et ennuyeux. Je me souviens d'une projection de "Pas d'orchidées pour Miss Blandish...", les acteurs transpiraient à grosses gouttes, depuis je continue de chercher des films où les acteurs suent.
Aujourd'hui je l'aimerais presque par narcissisme, parce qu'il obéit à tous mes critères actuels. L'impureté, le cauchemar, le cinéma maladif, une manière d'être toujours sensuel, sexy, qui est peut-être l'une des choses primordiales lorsqu'on fait des films, lorsqu'on filme des acteurs : montrer qu'on a le sens de la sensualité et celui de l'humour, et donc, qu'on est un réalisateur bien vivant. Cela doit avoir un rapport avec le fait que les acteurs suent dans Miss Blandish, un réalisateur doit avoir le sens de la peau, doit se poser la question de la peau de ses acteurs.
Trahisons à Athènes est un petit Aldrich, un Aldrich impeccable sans être génial. On y décèle sa capacité à dépeindre en profondeur une large galerie de personnages, comme s'il pouvait toujours compter sur son sens de la vie pour faire exister n'importe quel second rôle. C'est ce que je sens le plus chez Aldrich : le fait que ses qualités de cinéaste ne sont pas autre chose que les qualités de l'homme. Ca ne marche pas avec tout le monde.

10 août


The Only game in town de George Stevens (1970)


Elizabeth Taylor se lève péniblement au bruit de son réveil, à la télé : un film avec Bogart. En quelques plans, la gueule de bois de Hollywood, en plus, on est à Las Vegas. Elle joue une femme sentimentale, seule et dépressive, une sorte de Cléopâtre perdue dans un royaume en carton. Cela aurait totalement pu être un film de Cassavetes : langueur et solitude urbaine, l'amour comme dernier recours, dernier endroit où se cacher. En cela le début est assez beau, parce que lâche et contemplatif, installant son atmosphère et ne s'enfermant pas encore dans son dispositif. Ensuite le film pêche par sa trop forte hybridité, entre studio et décor réel, entre sa volonté de nous faire voir le monde d'après l'âge d'or et une star déchue de son piédestal tout en se reposant un peu trop sur son duo d'acteurs star. Le film incarne assez idéalement cette forme d'académisme hollywoodien qui inaugure les années 60 et où il était de bon ton de prendre un air amer et désabusé pour donner l'impression que le cinéma se réveillait d'une longue illusion. On dirait que Stevens tente de faire le jeune réalisateur ou alors le vieux réalisateur encore à la page : ça arrive souvent et c'est la plupart du temps ridicule. Mais il n'a jamais été suffisamment bon pour être autre chose qu'un petit ouvrier bien de son époque et bien de son âge.
C'est trop écrit, trop théâtral, Taylor est mauvaise, trop désorientée, du coup elle oublie son personnage et se remet à jouer comme une diva. Je ne l'ai jamais trop aimée, ni trouvé belle d'ailleurs (à part dans Cléopâtre) : quelque chose de porcin dans le visage, d'un peu peste qui éclate lorsqu'elle pique ses crises d'hystérie. Son jeu est trop binaire, avec toujours cette façon d'aller irrésistiblement de la douceur à la colère. Elle a le jeu de l'état de son cinéma : engoncé, théâtral, hystérique. On est finalement plus chez Tennessee Williams que chez Cassavetes.

Une affaire de femmes de Claude Chabrol (1988)




Un quasi-remake de Violette Nozière, où le personnage de Huppert se situerait à équidistance de Madame Bovary et de Jeanne d'Arc. Je crois que Chabrol dans ce film déploie absolument tout de la palette de Huppert : l'enfant inconséquente et capricieuse (ses moues, certaines intonations parfois), la femme au foyer qui rêve d'une autre vie (d'avoir un amant, d'être chanteuse), la sorcière sans scrupules. Et toutes ses potentialités sont contenues dans un seul et même trait, montrant, d'une scène à l'autre, toujours une nouvelle nuance de l'actrice. C'est peut-être en cela qu'Huppert est une grande actrice, dans sa manière de définir le jeu d'actrice comme quelque chose qui se meut, se métamorphose sans interruption et nous envoûte dans son perpétuel changement. Je crois que là se trouve le secret de son jeu : dans un devenir perpétuel et totalement imprévisible. On ne sait pas si elle sera douce ou dure, joyeuse ou cruelle, mais elle est par contre toujours innocente dans sa culpabilité, et c'est absolument magnifique dans le film. On la pensait femme, elle était en fait petite fille irresponsable, Fifi Brindacier.



Le secret magnifique de Douglas Sirk (1954)

Vu une première fois il y a quelques années dans de très mauvaises conditions (fichier de très mauvaise qualité, petit écran, sous-titres bancal). Je le revois, cette fois-ci proprement, et accompagnée d'une personne qui n'a jamais vu un Sirk et a qui je montre peut-être le Sirk qu'on aime une fois qu'on a vu les autres.
Sûrement le Sirk le plus excessif, le plus "difficile à avaler", le plus angoissé et peut-être le plus expérimental. C'est une grosse machine mélodramatique qui se nourrit exclusivement d'excès et d'invraisemblances et tente de transformer toute cette lourdeur scénaristique en pur or lacrymal. On se croirait dans une de ses expériences de pensée kantiennes qu'on trouve toujours trop pures, trop irréalistes pour pouvoir en appliquer les préceptes dans nos propres vies. Et comme chez Kant, dans Le Secret magnifique la morale dévoile sa part de folie. D'où l'artifice pur et absolu, d'où un film totalement mortifère parce que portant une forme, le mélodrame, à son degré le plus fou, à un état de quasi-putréfaction : le film est entièrement rongé par l'ombre. Comment faire du mélodrame après ça ?





14 août

The Big Knife
de Robert Aldrich (1955)


Je préfère vraiment la deuxième moitié de la filmographie d'Aldrich à la première. Encore trop surlignée, trop édifiante, trop consciemment dénonciatrice. The Big Knife, adaptée d'une pièce de Clifford Odets (dans mon souvenir c'est toujours mauvais signe) est tellement théâtral qu'il en devient complètement claustrophobique. C'est un peu le même problème que le George Stevens : une sorte d'académisme de la subversion et de l'amertume. Mais ce que j'aime toujours chez Aldrich, c'est ses angles obliques qui témoignent toujours d'une distorsion morale.






Jardins de pierre de Francis Ford Coppola (1987)


Je me souviens surtout d'Anjelica Huston sur le pas de sa porte, sinon je crois que j'avais beaucoup dormi devant le film, il n'y a que comme ça que je peux m'expliquer à moi-même le fait d'être passée devant l'un des meilleurs Coppola. En ce sens, il faudrait vraiment inverser le rapport entre les "grands films" de Coppola et sa veine intimiste, qui est en fait la plus répandue au sein de sa filmographie. Les "gros machins" sont l'exception.
Toujours cette impression donc, d'être devant un film imbibé et dégoulinant de sentiments, de liens affectifs, de personnages qui n'existent qu'en fonction de leur affection pour un autre personnage. Cela finit par créer un réseau très denses de sentiments, où un personnage se donne d'abord par le prisme de ses liens. Avant d'être lui-même, il est ce qu'il est pour les autres personnages : un fils, un ami, un mari, un frère. Je crois qu'un personnage coppolien qui désirerait vivre en dehors de tous liens affectifs serait voué à s'évaporer, comme le Motorcycle Boy. Ce sont peut-être des banalités qui fonctionnent pour n'importe quel cinéaste et je crois que c'est ce qui fait qu'il est toujours dur d'écrire sur les films de Coppola : on prend le risque de tomber dans des généralités un peu neuneu.
A cela s'ajoute la dimension totalement fordienne du film : les "soldats d'opérette" qui ne participent pas à la guerre de leur pays, humiliés d'être mis ainsi à la marge de l'Action et de l'Histoire, les rituels et cérémonies déréglés, l'Histoire racontée par le prisme d'une intimité bouleversée. Si Jardins de pierre est si beau c'est dans sa façon de nous démontrer qu'on peut donner l'idée de la guerre sans se contorsionner et sans jamais avoir à élargir ou à embrasser quelque chose qui serait plus grand, plus écrasant, plus important que l'intime. Il ne faut pas avoir autre chose que le sens du détail, que le sens de l'intime, et savoir le filmer, pour avoir le sens de l'Histoire.

dimanche 7 août 2016

journal des films (1 - 6 août)

1er août


Quand Harry rencontre Sally de Rob Reiner (1989)

Rentrée de vacances, compulser le replay de TCM et se décider à regarder le film le plus aisément regardable, celui qui demande le moins d'effort d'attention, le plus agréable même quand il est mal fichu : une comédie romantique. Est-ce que c'est quelque chose dans la forme, quelque chose dans le sujet, quelque chose qui vient titiller cette soif inextinguible de propos sur l'amour. Revoir le film de Rob Reiner, y voir un digest de tout ce que la comédie romantique peut, n'y voir qu'une recette, une combinaison de codes et d'abord et surtout celui-ci : un duo irrésistible, qui finit par tomber amoureux, mais plus important que ce but-là il y en a un autre : il faut que ce duo soit adorable aux yeux des spectateurs, il faut que le public tombe amoureux de ces héros pour que les héros tombent amoureux l'un de l'autre. Le film a une sorte de fausse virtuosité dans les dialogues, j'y vois uniquement une sorte de complaisance assez monstrueuse qui consiste à n'envisager ces héros que du point de vue de l'amour. C'est ce qu'il y a de plus effrayant dans la comédie romantique : elle donne naissance au célibataire en tant qu'il est un être privé d'amour, un être frustré, empêché, et du point de vue de l'amour : un être inférieur. Une bonne comédie romantique serait une comédie où le "célibataire" n'existerait pas, ou alors il existerait mais ce serait un être supérieur, qui n'aurait pas besoin de l'amour : ce serait quelque chose qui viendrait le combler au même titre que son métier, ses amis ou ses occupations, quelque chose qui prendrait place au milieu d'une vie déjà bien remplie - mais c'est peut-être déjà tuer les conditions de possibilité même de la comédie romantique que de dire ça. La comédie romantique serait donc un genre qui se trompe oui qui n'a pas compris qu'Elle et lui était un film totalement antiromantique. Le problème de Quand Harry rencontre Sally, le problème du genre de la comédie romantique ratée, c'est qu'elle prétend à une gestion des moeurs de son public, elle lui administre un imaginaire prêt à être utilisé dans sa propre vie : tout y est biopolitique, rien n'est existentiel (et c'est pour ça que Woody Allen échappe totalement à ce défaut).


2 août

Téloche

Une soirée passée devant des documentaires Arte, sorte d'agonie télévisuelle, de distraction concentrée, d'excuse pour ne pas faire, pour ne rien faire. Les documentaires sont très bons (l'un sur le Qatar et sur le sort réservé aux immigrés, l'autre sur l'aberration qui a conduit à organiser les J.O d'hiver à Sotchi, la ville la plus chaude de Russie). Je me mets à penser paradoxalement que ces documentaires seront injustement peu vus, parce qu'ils passent une fois, à la télé, et qu'ils devraient passer sur plusieurs tranches horaires, comme des séances de films. Je ne me rends pas compte à quel point il est plus avantageux pour eux de passer à la télé, qu'une audience télévisuelle vaut sûrement toutes les sorties cinéma. Et comme toujours, j'aime l'idée que la télévision soit capable du pire comme du meilleur et que c'est cette alternance, cette coexistence qui fait tout son prix. Elle a ses mauvais jours et ses bons jours, non pas alternativement mais simultanément.

3 août
La truite de Joseph Losey (1982)

D'où vient que les mauvais films ont l'air de se prendre plus au sérieux que les "autres films" ? Cela doit tenir au fait que leur sérieux rate, que ce sérieux est rattrapé par la blague que le film ne peut s'empêcher d'être. Alors le sérieux, au lieu d'être présupposé à chaque scène de façon naturelle, ressurgit à la surface, devient quelque chose de gênant et de ridicule : on fait comme si on était dans un bon film. Pauvres acteurs, dont le sérieux ici touche à l'innocence de ne pas se savoir duper par le mauvais film. Un acteur joue et ne sait pas que le film est/sera mauvais. Dans tous les cas il faut beaucoup de sérieux pour faire un film : pour le rater comme pour le réussir. L'exemple des nanars portent cette idée jusqu'à incandescence : on rit d'une farce qui a tout de sérieux pour l'équipe du film.
J'ajouterais que la phrase de Rivette comme quoi un film est toujours un documentaire sur son propre tournage vaut davantage pour les mauvais films. Les grands films eux donnent l'étrange impression que leur tournage n'a pas existé, que tout était déjà là, filmé, joué, monté, magiquement. A quoi pouvait bien ressembler le tournage de Vertigo ?

Les Ambitieux d'Edward Dmytryk (1964)


Dès le générique : une pompe presque ridicule mais sympathique, qui tient davantage d'un esprit de sérieux télévisuel que du cinéma. Ca va être une grande fresque, ça parlera fric, sexe et drames familiaux. Mais le film laisse toute la place à son sujet (les moeurs détraquées d'une galerie de personnages et d'un héros inspiré de Howard Hugues) pour que celui-ci le contamine de l'intérieur. Il y a un esprit de sérieux qui n'en finit jamais de s'assouplir, de laisser de la place pour que quelque chose advienne. Le film est malade, oui, mais il ne cesse de s'enrichir, de se nourrir de sa maladie, et c'est ce que j'apprécie de plus en plus au cinéma : une grande santé trouvée dans la maladie. Ca ne pourrait qu'être une formule mais c'est exactement ce que je pense.
Il y a de toutes façons trop de violence à contenir, trop de coups de théâtre, trop de vulgarité pour que Dmytryk surplombe jusqu'au bout son petit monde. On dirait que le Hollywood des années soixante est trop occupé à révéler tous les sales petits secrets, à lever tous les voiles, il vit dans l'illusion que le sexe fut le secret le mieux gardé, et se délecte d'en foutre partout. Dans le meilleur des cas (enfin il y a mieux mais j'aime vraiment le film), cela donne Les Ambitieux, cela donne un cinéma décadent.
4 août

La Guerre des boutons d'Yves Robert (1962)


L'enfance universelle, contre l'enfance intime et mélancolique d'un, par exemple, Antoine Doinel. Je pense que le film fonctionne très bien sur deux modes : soit sur des enfants qui le voient pour la première fois, soit sur des gens âgés à qui cela rappellera des souvenirs. Les dialogues sont trop écrits pour que la liberté frondeuse de l'enfance surgisse réellement. Rien n'est abordé sur le mode de l'intime, tout sur le mode collectif (l'un empêche pas l'autre mais), ou disons, l'enfance perçue comme une catégorie quasi-sociologique et qui d'ailleurs ne rêve que d'une chose : faire tout comme ces cons d'adultes. D'où ce sentiment de malaise, qui pourrait correspondre à ce que j'ai ressenti devant Quand Harry rencontre Sally : l'impression de se voir imposer un imaginaire dans lequel tout le monde devrait se retrouver et qui nous vide de notre singularité de spectateurs. La Guerre des boutons est un vrai faux film sur l'enfance et un vrai film de vieux (imaginer le vieux Gabin se marrer devant).

 


Bedlam de Mark Robson (1946)

Une vieille copie abîmée au Christine 21, avec ce son étouffé, ce grésillement, cette histoire si étrange mêlée d'horreur et de fantastique : le film apparaît dès lors comme une antiquité fantomatique. Comme Tourneur, Robson croit fermement en ce qu'il filme, même s'il s'agit de l'histoire la plus tordue ou la plus improbable. C'est quelque chose qui a à voir à l'enfance et qui frappe dès les premières minutes du film. On dirait qu'on assiste aux premiers soubresauts de la fiction, et que notre état de croyance est telle que nous sommes prêts à tout recevoir, que nous sommes même prêts à avoir peur (ce qui équivaut à un niveau très élevé de croyance).

Tucker de Francis Ford Coppola (1988)


Le film me plaît infiniment plus que la première fois, pourtant vu dans les meilleures conditions (Cinémathèque + Jean Douchet, enfin ça peut aussi être angoissant)/ Il est traversé par une douce virtuosité, une fluidité onirique mais rentré (le regard, les expérimentations, les choses apprises du cinéma électronique se coulent et se greffent naturellement dans la pâte du film). Le film commence par le milieu et se déroule comme un long rêve publicitaire. C'est étrange, bonhomme, douloureux, apparemment "mineur" et comme toujours chez Coppola, saturé d'affects, d'affection, de sentiments pour autrui : comme l'est L'idéaliste, comme l'est L'homme sans âge ou encore Les gens de la pluie. Peut-être même que Coppola est le grand cinéaste de l'être-pour-autrui.

Coïncidence : voir un film inspiré de la vie de Howard Hugues (le Dmytryk) puis croiser une nouvelle fois Howard Hugues dans le Coppola. Comme si le cinéma américain, parce qu'il a tout raconté ou disons, parce qu'il a raconté beaucoup de choses, ne pouvait que provoquer des croisements de récits, de films, des entrechoquements.


6 août

The Strangers
de Na Hong-jin (2016)


Se traîner pour aller voir le seul film récemment sorti qui m'intéresse un peu et que je n'aurais certainement pas vu en dehors de la période estivale. L'impression d'y aller pour littéralement tuer le temps, avec toujours la possibilité de sortir de la salle, possibilité qui me rend la séance supportable maintenant que je n'ai plus aucun scrupule à le faire et que je m'y toujours un semblant de désinvolture (une façon, toujours discrète, de montrer dans ma seule silhouette que j'en ai marre et que je me casse parce que j'ai mieux à faire "et vous devriez faire pareil"). Toujours tiraillée entre deux positions : "tu seras un peu triste de l'avoir raté" / "tu seras énervée si c'est vraiment nul".
Le film est suffisamment bordélique et imprévisible pour qu'on reste jusqu'au bout malgré la durée, on a l'impression de se diriger vers toujours plus de folie, mais cette folie, bien qu'elle explose dans deux scènes de chamanisme très belles, finit par être entièrement contenu par un esprit de sérieux, un surmoi d'auteur et de scénariste déjà trop présent dans The Chaser. On sent de façon assez plaisante que le scénario ne cesse d'échapper à son auteur et qu'il se laisse aller par moments à cette folie qui est le véritable sujet du film : révéler au coeur de l'intrigue policière une démence généralisée. Mais sa volonté d'édifier, de se faire le démiurge pessimiste, l'oblige à tenter coûte que coûte de le remettre sur le droit chemin, de reprendre là où il l'avait laissé le fil narratif au lieu de penser le film comme une succession d'excroissances monstrueuses et hallucinées. Du coup, vingt minutes (peut-être moins) passionnent, mais se retrouvent noyées dans 2h40 effroyablement attendues. Et c'est drôle de voir que la puissance des meilleures scènes n'arrive même pas à racheter le film.

7 août
Faustine et le bel été de Nina Companeez (1972)


Il faut peu de temps pour déceler le nanar. Déjà, celui de préférer une très mauvaise actrice à Isabelle Huppert qui tient là son premier rôle et joue littéralement cinq secondes. Et puis, son nom mal orthographié au générique "Isabelle Hupert". Dans le casting : Francis Huster, Isabelle Adjani, Maurice Garrel. Rétrospectivement on a l'impression d'un outrage fait à Huppert (qui n'a alors aucune filmographie derrière elle) et le film n'a d'intérêt que pour cela : sa manière de se désintéresser complètement de la future meilleure actrice française et d'ambitionner une sorte de film de jeune fille en vacances à la découverte de ses premiers émois érotiques, mais le film est sans grâce et trop ridicule pour provoquer le moindre trouble.


Les Soeurs Brontë d'André Téchiné (1979)



Il est évident que Téchiné a dû demander à ses actrices de bouger le plus lentement possible, d'exécuter les gestes quasiment au ralenti. Et pour ramasser cette lenteur, rien de mieux que des scènes globalement très courtes, une série de visions sur ce que pouvaient être l'environnement des Brontë : leur maison, leurs vêtements, la lande, le vent. Dans le genre du biopic, cette pudeur mêlée de prudence et en même temps d'audace (ces problèmes de fidélité au biographique et donc, ces infidélités faites aux faits) paie toujours (je pense au Edvard Munch de Watkins). Huppert a cette nonchalance qui semble nous dire qu'elle prend son temps pour nous en mettre plein la vue, tandis qu'Adjani est excessive dès les premières scènes. Elle fait la princesse, elle joue trop fort, mais finit par s'ajuster in extremis à son personnage (Emily Brontë). Deux très beaux plans fixes résument selon moi le jeu d'Adjani et celui de Huppert. Le gouffre de folie que cache mal le visage de la première, le calme inquiétant de l'autre. Les deux actrices étaient plus ou moins rivales et l'on comprend qu'Adjani, vu ses rôles, vu son mode d'être intenable, n'a pu être qu'une étincelle dans le cinéma français, tandis que Huppert construisait patiemment, froidement, une filmographie. Regard dans le vide contre regard qui guette. Huppert semble toujours savoir ce que fait son visage, ce qu'il laisse transparaître, à l'inverse d'Adjani.


Rien ne va plus de Claude Chabrol (1997)

Film de vacances, littéralement. Chabrol prend des vacances, s'amuse à l'intérieur de son propre cinéma et n'a aucun problème à le montrer. On dirait une récréation faite film : "c'est toi qui m'a appris à m'amuser non ?" dit Isabelle Huppert à Michel Serrault, et cela résume à peu près tout le film. Tout le monde s'amuse et peut-être que pour une actrice, surjouer consiste littéralement à s'amuser, à jouer au maximum. Chabrol dissémine ça et là des observations, des traits d'esprit, Huppert surjoue Huppert, ça mange, ça voyage, ça change d'hôtel. Littéralement, un film-vacances.